Jean-Marie Bockel dépose la gerbe au nom de l'Etat. « Le 23 octobre ne sera jamais une journée comme les autres ». Photos DDM, Philippe No. et Luc Perot.

La stèle sur la place d'armes du quartier Beaumont : un cèdre du Liban que redressent des parachutistes. Sculptés dans la pierre ces mots : « Pour l'aider à tenir debout ! » C'est pour aider ce pays déchiré par la guerre civile qu'il y a vingt-cinq ans, le dimanche 23 octobre 1983, 58 parachutistes du 1er RCP et du 9e RCP sont morts sous les décombres de l'immeuble Drakkar, où ils logeaient, détruit par la bombe d'un kamikaze.

Hier, à Pamiers, la date anniversaire a été célébrée avec plus de force que d'habitude, en présence du secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants Jean-Marie Bockel, une demi-douzaine de généraux, dont Michel Roquejeoffre, les élus, le préfet. Et alors même que plusieurs centaines de parachutistes appaméens sont en mission au Tchad, avec leur chef de corps, le colonel Blachon. Image forte que celle de l'immeuble effondré au cœur de Beyrouth, qui renvoie vers les images de tous les autres tués en opérations extérieures, les derniers en date, en Afghanistan, endeuillant le régiment de Castres. Un pays déchiré par la guerre civile où l'an dernier, un para de Pamiers a été lui aussi tué en opération. Dans la foule des « anciens » réunie en famille serrée au coude-à-coude et au cœur, les pères et les mères touchés par la perte du fils, les veuves et quelques survivants, dont Dominique Grattepanche, un « miraculé » (voir ci-dessous).

Comment ne pas oublier ? Si jamais c'était le cas, des cérémonies comme celle d'hier sont là pour ramener dans les esprits le souvenir des sacrifices et leur sens profond, comme l'indiquait Jean-Marie Bockel : « Le 23 octobre ne sera jamais une journée comme les autres chez les Rapaces de Pamiers. Elle est l'évocation d'un douloureux souvenir et une prise de conscience collective. Sans l'engagement des soldats, l'aide que la France affirme vouloir apporter à des hommes et à des femmes pour retrouver leur liberté ne serait que simple déclaration de bonnes intentions. Aujourd'hui, nos soldats sont engagés au Liban, dans les Balkans, en Afrique, en Afghanistan, pour que les habitants de ces pays vivent en paix mais également pour défendre notre sécurité et notre liberté ! » Cérémonie simple et forte, sans fioritures. Le souvenir se dresse, intact, dans les rangs des anciens comme au milieu des nouvelles recrues, mémoire rafraîchie aussi chez les jeunes collégiens qui portent les gerbes dans le froid piquant de ce matin d'automne. Puis c'est ce chant qui ferme le ban et dit que ceux qui sont tombés au Liban « nous précèdent en avant ». C'est le lot et l'honneur du para. Ils le savent.

Robert Perrin: «Il ne restait rien, c'était le chaos»

Le caporal Robert Perrin, à l'époque volontaire au 9e RCP, et basé à quelques kilomètres de Beyrouth avec la seconde compagnie de paras, est arrivé rapidement sur le PC Drakkar après l'attentat. « Nous avons tous été surpris par l'ampleur de la catastrophe et tout tenté pour trouver des survivants au milieu des gravats. Il ne restait rien, que le chaos. Nous avons travaillé et déblayé les ruines sur le PC nuit et jour, et sans relâche. Un moment difficile gravé dans ma mémoire. »

Gérard Lanoux : « Nous avons pris la relève »

Le commandant Gérard Lanoux était le commandant de la troisième compagnie de parachutistes qui a pris la relève du Drakkar. « Nous sommes partis de Pau avec une compagnie de 150 hommes de la tour Murr qui a remplacé sur le terrain celle du Drakkar. Il était clair que notre mission devait continuer au Liban. Notre unité, rapidement mobilisée, a pris position dans ses quartiers à Beyrouth afin de poursuivre son action et aussi protéger l'ambassade de France. »

Dominique Grattepanche dormait au cinquième étage du bâtiment. Neuf heures passées sous les décombres : « A vrai dire, je croyais que j'étais mort »

Il est 6 h 30 au petit matin quand les terroristes font exploser le PC Drakkar. Dominique Grattepanche, âgé de 19 ans, engagé volontaire, dort paisiblement dans sa chambrée avec ses copains paras au cinquième étage du bâtiment quand tout à coup tout s'effondre. « Je me souviens du vacarme dû à l'explosion. En fait du cinquième étage, je me suis retrouvé plusieurs mètres plus bas, coincé sous des kilos de gravats. À vrai dire, je croyais que j'étais mort. Mon corps s'est naturellement mis en position de survie et en veille. »

Souffrant de multiples fractures et blessures, Dominique Grattepanche ne peut plus bouger ni parler, il respire difficilement et reste coincé, gisant et enseveli à côté de ses camarades, qui, eux, ont eu moins de chance.

« Ce n'est que neuf heures plus tard que j'ai été localisé et sauvé par les parachutistes de la troisième compagnie et des secours », confie Dominique Grattepanche, la voix encore tremblante lorsqu'il se remémore l'attentat. Ils ne seront que quinze à avoir cette chance. Celle de survivre à aux kamikazes qui ont fait sauter le PC Drakkar.

Toujours dans l'armée, Dominique, décoré à l'époque de la Médaille militaire par Charles Hernu, l'ancien ministre de la Défense, est chauffeur aux affaires maritimes de Toulon. « Je n'oublierai jamais, j'y pense tous les jours, je pense aussi à mes camarades morts ce jour-là. J'ai besoin d'en parler pour me soulager, je suis vivant. »